"Manas" : la cinéaste Marianna Brennand plonge dans l'abîme des violences sexuelles sur l'île de Marajo au Brésil
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Manas, le premier long-métrage de fiction de la documentariste brésilienne Marianna Brennand, est un film qu'il faut se laisser le temps de digérer. En salles mercredi 26 mars, il dépeint le caractère systémique des violences sexuelles que subissent les jeunes filles à la maison et ailleurs sur l'île de Marajo en Amazonie (État du Pará), au nord du Brésil.
Marcielle, Tielle pour ses proches, a 13 ans et elle vit avec toute sa famille entourée par l'eau et la forêt. La vie de l'adolescente, qui vient d'avoir ses premières règles, va être bouleversée par une partie de chasse au paca, un rongeur, avec son père Marcílio. On comprend alors pourquoi sa mère, Danielle, se faisait aussi insistante pour qu'elle suive les traces de sa grande sœur Claudia qui a quitté le giron familial et à qui Tielle a construit un autel dans la forêt.
Contre l'avis de son père, l'adolescente finira par monter sur ces fameuses barges qui traversent la grande rivière du Rio Japura et où les hommes ne se préoccupent pas de connaître l'âge de leurs partenaires occasionnelles. Désormais victime de différentes formes d'abus sexuels, Marcielle purge une double peine dans son corps et dans sa tête. Son amie Cynthia, devenue adulte trop tôt, résume bien la situation en soulignant l'hypocrisie de ces hommes qui ne veulent pas que leurs filles se retrouvent sur les embarcations, mais font bien "pire" à la maison.
Dans Manas, Marianna Brennand décrit au long cours la fin de l'innocence dans une communauté où les femmes savent ce que subissent leurs filles, leurs voisines et leurs amies. Notamment dans le cercle familial. Ces mêmes familles confiées à Dieu alors même qu'elles sont devenues infernales. Et Manas enfonce le clou : en Amazonie ou ailleurs, la famille reste un lieu dangereux quand il s'agit de violences sexuelles.
Détails et déclics
La mise en scène de Brennand repose ainsi sur des petits détails qui en disent long : une corde qui se rompt et que l'on peine à racheter, un bonbon reçu d'un prédateur sexuel et qui, dans l'imaginaire collectif, est l'appât préféré des pédophiles ou encore la boue sur le visage d'un père alors qu'il joue avec ses filles. Les petits riens des scènes et des dialogues font éminemment sens au fur et à mesure que le récit se déroule. À l'instar de ces silences et regards captés par des gros plans dont la vocation est de donner à lire l'âme tourmentée des protagonistes de Manas.
La cinéaste brésilienne parvient également à reconstituer avec minutie la mécanique du prédateur sexuel tout comme la façon dont s'organise, par petites touches, une résistance multiforme chez les femmes. Manas est l'un de ses films qui vient enrichir la carte mondiale d'un fléau profondément ancré dans les sociétés humaines. Et le constat demeure toujours aussi glaçant, bien que Brennand ne verse pas dans le pessimisme. La sororité s'affiche comme une planche de salut même si elle ne paraît pas active ou même efficace : Danielle ne parvient pas toujours à protéger Tielle mais elle s'emploie à rester combative selon ses propres termes. Marcielle, elle-même, est portée par ses sœurs : celle qui est partie, celle qui reste.
Marianna Brennand a trouvé le ton juste, souvent implicite, mais toujours éloquent grâce notamment à l'interprétation de la jeune Jamilli Correa, pour raconter des parcours féminins où la violence se transmet de génération en génération. Idem pour ce silence dans lequel s'emmurent les victimes d'abus sexuels à force de ne pas être crues. Les cinéastes belges Jean-Pierre et Luc Dardenne ainsi que le Brésilien Walter Salles, dont le film Je suis toujours là a décroché l'Oscar du meilleur film international – une première pour son pays –comptent parmi les producteurs associés de cette fiction. Elle a déjà remporté plusieurs prix dont le Grand Prix de la Journée des auteurs à Venise.
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La fiche
Genre : Drame (tout public avec avertissement)
Cinéaste : Mariana Brennand
Distribution : Jamilli Correa, Fatima Macedo, Rômulo Braga, Dira Paes, Emilly PantoJa, Samira Eloa
Pays : Brésil
Durée : 1h41
Sortie : 26 mars 2025
Distributeur : Bodega Films
Synopsis :
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